jeudi 9 avril 2009

Allocution de Pierre Lauret


Allocution prononcée le mercredi 8 avril 2009, Place Saint Michel à Paris, dans le cadre de l’action Délinquants solidaires

 

Bonjour.

Je m’appelle Pierre Lauret, et je viens apporter mon témoignage au nom du Réseau Education Sans Frontières.

Je suis un des trois philosophes qui ont été placés en garde à vue à Roissy, dans les circonstances suivantes. Nous nous rendions à Kinshasa par un vol Air France, pour participer à un colloque sur la culture du dialogue et le passage des frontières. Nous avons constaté, au fond de la cabine, la présence de deux hommes, des Africains, menottés, et escortés par des policiers en civil. Nous sommes alors allés poser des questions aux policiers sur la nature et la cause de cette expulsion. En dépit des ordres de regagner nos places, émanant des policiers, puis d’une hôtesse de l’air, et du commandant de bord, nous avons insisté. Nous n’avons pas protesté contre la situation, encore moins appelé les passagers à s’opposer à l’expulsion. Mais nos questions ayant rendu celle-ci visible, plusieurs passagers se sont levés et ont protesté, ce qui a conduit à mon débarquement manu militaripar la Police Aux Frontières et à mon placement en garde à vue pendant sept heures. A leur retour de Kinshasa, mes deux collègues, Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusset, ont eux aussi été placés en garde à vue, pendant onze heures. Ils sont mis en cause pour les délits d’opposition à une mesure de reconduite à la frontière et d’outrage et de menaces envers l’escorte, et moi également pour opposition, et pour entrave à la circulation d’un aéronef.

 

Dans ma position, il serait paradoxal que je réclame du fond du cœur d’être poursuivi pour mes actes. La mobilisation d’aujourd’hui, autour des délinquants solidaires, est un mouvement de solidarité envers ceux qui ont pratiqué la désobéissance civile, et même civique, en manifestant leur opposition à une loi et à son application, dont ils contestent la légitimité. Le véritable enjeu de notre mobilisation n’est pas que tous ceux qui font un geste de solidarité envers les étrangers en situation irrégulière soient traînés en justice, mais que cette solidarité ne soit plus considérée comme un délit.

 

La répression de la solidarité envers les victimes de la politique d’immigration de Sarkozy, qui est avant tout une politique d’expulsion, se pare d’une justification morale. D’après le ministre Besson, l’article 622-1 du CESEDA viserait uniquement les passeurs mafieux, et donc il protègerait soi-disant les immigrés contre leur exploitation par le crime organisé. L’hypocrisie de cette justification éclate, quand on voit que le gouvernement fixe publiquement un objectif de 5 500 interpellations d’ « aidants » aux sans papiers en 2010. Comment pourrait-il s’agit de « passeurs mafieux » ? Les personnes qui tombent réellement sous le coup de cet article, ce sont des personnes comme vous et moi, qui sont prêtes à manifester par un geste leur solidarité.

 

La politique d’expulsion de Sarkozy obéit à une logique de recherche de résultats chiffrés, elle applique les méthodes néo-libérales du management par objectifs. Ces méthodes concernent d’abord l’administration, notamment préfectorale, et la police, mais elles finissent par engager toute la société. Par exemple, dans notre cas, le personnel d’Air France, et enfin les passagers, qu’on incite à garder un silence complice, en multipliant les poursuites contre ceux qui manifestent leurs réserves à l’égard d’une expulsion dont ils sont les témoins.

 

Mais en enrôlant ainsi toute la société dans son entreprise de répression, la politique de Sarkozy fait aussi de chaque membre de cette société le point d’une résistance possible, d’une opposition concrète face à des situations inacceptables. Pour conjurer ce risque, l’Etat français, son administration et sa police s’éloignent de plus en plus de l’Etat de droit, comme le constatent les récents rapports du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et d’Amnesty International. Par toutes sortes d’intimidations et de dissuasions, le gouvernement espère atteindre son misérable idéal d’une société indifférente et honteuse, où la solidarité est un délit ; une société dont le symbole serait des passagers absorbés par leurs plateaux-tambouille ou leurs écrans télé, pendant que derrière eux, des hommes et des femmes, menottés et escortés, voyagent en classe prison.

 

Je crois que le gouvernement s’illusionne. Il y aura toujours des gens pour protester et marquer leur désaccord contre une politique d’autant plus inhumaine qu’elle est inepte. Il y aura toujours des gens, comme les membres de RESF, pour se montrer solidaires de personnes qui sont leurs voisins, et d’enfants qui sont les copains des nôtres, et que nous voulons voir à l’école, et pas en rétention, ou vivant dans la crainte, ou séparés d’une partie de leur famille.

 

 C’est en ce sens que je revendique la responsabilité de ce que j’ai fait : j’en assume la responsabilité, parce que j’affirme que c’était une manière responsable d’agir, et cela vaut pour toute l’action de RESF. Je demande moins à être poursuivi, que la dépénalisation de cet exercice de la responsabilité civique.

 


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