lundi 18 mai 2009

LA POLITIQUE DE L’IMMIGRATION DE N. SARKOZY ET LES LIBERTES PUBLIQUES

Conférence-débat du

Lundi 6 avril 2009

à l’Ecole Normale Supérieure

Intervention de Pierre Lauret

 

Cette réunion publique est organisée suite à la mésaventure arrivée à trois philosophes dans un avion en partance pour Kinshasa ; et elle est aussi suscitée par la parution du livre Cette France-là, ouvrage collectif qui présente une description et une analyse renouvelées de la politique d’immigration menée sous l’égide de Nicolas Sarkozy.

 

Je commencerai par rappeler brièvement nos mésaventures de la fin de l’année 2008. Le 16 décembre, nous étions quatre philosophes français à prendre un avion d’Air France à Roissy, pour aller à Kinshasa participer à un colloque organisé par l’Agence Universitaire de la Francophonie et les Facultés Catholiques de Kinshasa, en collaboration avec l’Université de Paris-8. L’intitulé du colloque était « Culture du dialogue et passage des frontières ». En pénétrant dans l’appareil, trois d’entre nous, Sophie Foch-Rémusat, Yves Cusset et moi-même, avons constaté la présence, tout au fond de la cabine, de deux personnes africaines menottées, et entourées par des hommes qui étaient manifestement des policiers en civil. Nous avons alors décidé d’aller poser des questions aux policiers sur ce qui se passait. Notre insistance, en dépit des ordres de regagner nos places, a contraint les policiers à reconnaître qu’il s’agissait d’une mesure d’éloignement d’étrangers sans titre de séjour. Elle a aussi rendu visible cette situation, qui a attiré l’attention des autres passagers, qui se sont émus, ont discuté, se sont indignés et ont protesté. Suite à cette manifestation spontanée, j'ai été débarqué manu militari de l'avion par la Police aux Frontières (PAF) et placé en garde à vue. A leur retour du colloque, le 22 décembre, mes deux confrères ont eux aussi été placés en garde à vue. Le motif judiciaire de mon arrestation est « opposition à une mesure de reconduite à la frontière », et « entrave à la libre circulation d'un aéronef ». Pour les deux autres, « opposition… » et « outrage et menace envers l'escorte ». C'est le parquet de Bobigny qui décidera des suites à donner à ces dossiers (passage devant le tribunal correctionnel ou classement sans suite).

Pourquoi avons-nous décidé de poser ces questions ? Nous allions à Kinshasa participer à un colloque tout à fait académique. Mais il nous paraissait difficile d'aller travailler sur la culture du dialogue et le passage des frontières avec des collègues et des étudiants africains, dans un avion où il y avait des Africains menottés et expulsés ; et ce d'autant plus qu'Yves Cusset avait préparé une communication sur la question de l'hospitalité, que Sophie Foch-Rémusat est un membre actif du RESF, et que je suis moi-même un militant de la cause des sans-papiers depuis longtemps. Donc il allait de soi que nous devions au moins poser des questions, pour comprendre de quoi il s'agissait, rendre publique la situation, et nous éclairer nous-même sur la situation politique et morale que nous étions en train de vivre.

 

Du fait de mon engagement, j'ai beaucoup côtoyé des personnes immigrées sans papiers : j'ai donc une connaissance locale et assez précise de la réalité concrète et très diverse des motivations qui les ont amenées à venir vivre dans notre pays, des vies qu’ils y mènent, et des effets de la politique d'immigration sur ces vies. Du fait de mon tour d’esprit, plus académique que militant, je me suis aussi livré à un travail d’information et d’analyse qui m’a conduit à la conviction que les phénomènes d'immigration font l’objet, de la part des sphères politiques et médiatiques, d’une opération de requalification qui les présente comme un problème crucial, central, etc.., pour la société française ; le tout, sans aucun rapport avec la réalité. J’éprouve parfois un certain accablement, heureusement compensé par l’exaspération, face à la capacité des sphères politiques et médiatiques de « reconditionner » certaines réalités pour les constituer en pseudo problèmes cruciaux, qui accaparent l’espace public et interdisent toute perception correcte et toute discussion rationnelle de la réalité. 

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