dimanche 18 janvier 2009

Courrier du 18 janvier 2009 au Directeur Général d'Air France KLM


Yves Cusset

Sophie Foch- Rémusat

Pierre Lauret


c/o Pierre Lauret

12, rue Abel

75012 Paris

pierre.lauret@dbmail.com



Pierre-Henri Gourgeon

Directeur général d’Air France KLM

45, rue de Paris

95747 Roissy Cedex



Paris, le 18 janvier 2009



Monsieur le Directeur général,




La presse ayant largement diffusé et commenté les mésaventures des « philosophes en garde à vue à Roissy », vous avez sans doute été informé des circonstances dans lesquelles, alors que nous nous rendions à Kinshasa pour participer à un colloque organisé par l’Agence Universitaire de la Francophonie et les Facultés Catholiques de Kinshasa sur « La culture du dialogue et le passage des frontières », Pierre Lauret a été débarqué  du vol Paris-Kinshasa (AF 898) le 16 décembre avant le décollage, puis Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusset ont été arrêtés et placés en garde à vue à l’arrivée du vol retour (AF 866).  


Par la présente lettre, nous entendons souligner la responsabilité d’Air France dans cette affaire, et protester contre le comportement d’une partie de l’équipage du vol aller, et au premier chef du commandant de bord.


Nous souhaitons d’abord préciser que si le vol AF 898 du 16 décembre a décollé pour Kinshasa avec quatre heures de retard, c’est d’abord en raison de la grande confusion qui régnait dans l’aérogare de Roissy, Terminal 2 C, aux zones d’embarquement et de dépose des bagages. Comme nous l’a expliqué un membre du personnel d’Air France, chaque année à cette période de nombreux Africains rendent visite à leurs familles, avec beaucoup de cadeaux et des bagages encombrants, ce qui ralentit l’embarquement. Air France ne semble prendre aucune disposition particulière pour y faire face, alors que la situation est bien connue. En conséquence, les avions pour l’Afrique étaient ce jour-là tous en retard d’au moins deux heures, et les passagers devaient piétiner dans la cohue d’une manière pénible, surtout pour les familles avec des enfants et les personnes âgées.


Une fois dans l’avion, alors que nous avions découvert les personnes menottées au fond de la cabine et que nous posions des questions à leur escorte (sans lancer ni appel ni slogan), nous avons été choqués par l’attitude d’une hôtesse de l’air. Elle ne s’est pas contentée de nous demander de rejoindre nos places, mais elle nous a dénoncés d’abord à la chef de cabine puis au commandant de bord, avec une insistance très déplaisante, en prenant bien soin de nous identifier et de noter nos numéros de siège. 


Ensuite, le commandant de bord a fait débarquer manu militari Pierre Lauret alors que le calme était revenu et que tous les passagers assis depuis plus d’un quart d’heure attendaient le décollage. Les raisons qu’il a avancées pour cette décision arbitraire sont peu convaincantes. Il aurait été inquiété par l’air très calme et déterminé de P. Lauret. Va-t-on maintenant débarquer tous les passagers qui ont l’ « air très calme » ? De son côté la police soutient (d’après France-Info) que P. Lauret aurait été débarqué parce que, très énervé (il faudrait qu’Air France et la police, qui travaillent main dans la main pour expulser, se mettent d’accord sur leurs versions des faits), il aurait traité l’hôtesse de « sale pute » ! La police raconte évidemment n’importe quoi avec les mots qui sont les siens, mais pas les nôtres. La vérité sur ce point est que P. Lauret a sèchement refusé de donner son nom à cette hôtesse, en la renvoyant au listing des passagers et en citant sans aménité un passage du Journal de Mauriac sur la bassesse de la dénonciation. Ni insulte ni agression. C’était méprisant, c’est vrai, mais l’hôtesse n’était pas obligée de se conduire d’une manière si peu propre à susciter le respect ou l’estime.


Le commandant de bord a au cours du vol convoqué Yves Cusset et Sophie Foch-Rémusat, qu’il a menacée de livrer à la police congolaise en des termes à la fois racistes et misogynes (sous-entendant qu’une femme blanche n’avait pas intérêt à se retrouver dans les mains des policiers congolais ). Il a motivé le débarquement de P. Lauret par la peur de troubles pendant le voyage et à l’arrivée. Si telles étaient ses craintes, d’ailleurs absolument infondées, il avait le pouvoir de demander aux policiers de débarquer. C’est leur présence et non la nôtre qui a posé un problème à un certain nombre de passagers. Sans expulsion et sans police, il ne se serait rien passé. Le commandant de bord a donc fait le choix de collaborer à l’expulsion, en se basant sur ses impressions arbitraires, et en manquant complètement de sang-froid. L’avion a décollé sans P. Lauret, mais avec son bagage en soute, ce qui constitue une infraction au système de sûreté. A cause de l’affolement et de la brutalité de la police, un autre passager qui n’avait strictement rien fait, sinon protester contre un horion récolté au passage, a lui aussi été débarqué et placé en garde à vue.


La collaboration zélée d’Air France avec la police et avec la politique d’expulsion menée par l’actuel gouvernement ne s’est pas arrêtée là. A leur retour de Kinshasa, Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusset étaient attendus par la PAF qui les a placés en garde à vue. Or, aucun policier ne leur a demandé leur identité à l’aller, seule l’hôtesse de l’air l’a fait. C’est donc Air France qui a donné à la PAF leurs noms et leur vol-retour.


Nous considérons donc qu’Air France, en la personne de son commandant de bord et de son hôtesse de l’air, qui ont fait preuve d’un zèle ostentatoire, est directement responsable du débarquement de P. Lauret, qui n’a pu prendre part au colloque de Kinshasa, et de l’arrestation de S. Foch-Rémusat et d’Y. Cusset. Air France ne peut plus ici se réfugier derrière l’argument du respect des lois de la République et de la neutralité du transporteur : l’attitude d’une partie de l’équipage dans notre affaire montre que les expulsions d’étrangers sans titre de séjour requièrent en bien des cas une collaboration active, manifeste, et en l’occurrence démesurée ou affolée.  Cette collaboration active produit une impression très fâcheuse, dont la presse s’est largement fait l’écho. Nous ignorons les termes exacts de la convention qui lie Air France à l’Etat pour ces transports, et ce qu’elle coûte respectivement à l’un et l’autre. Le déploiement de forces policières suscité par les expulsions est déjà aberrant. Mais surtout, il devient évident que la politique d’expulsion à quoi Air France apporte son soutien logistique est de plus en plus impraticable. Elle rend détestable le climat des vols et conduit fatalement à des situations de crise. Il est vain d’espérer que les passagers se résigneront tous et toujours à voyager sans broncher en compagnie de personnes expulsées. Il y aura toujours des gens pour poser des questions, s’indigner ou protester. Les équipages seront forcément confrontés à de telles situations. Du strict point de vue commercial, il est inadmissible que les clients d’Air France, qui achètent un billet pour être transporté sur un avion de ligne dans des conditions normales, se retrouvent inopinément placés dans des situations morales pénibles, et risquent d’être débarquées pour un oui ou pour un non, comme c’est le cas du passager mis en garde à vue en même temps que P. Lauret. Dans ces conditions, faire le choix de la collaboration zélée et parier sur l’intimidation entraîne des comparaisons historiques inévitables, dont l’image d’Air France ne sort pas grandie, en France comme à l’étranger.


Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération distinguée et attentive,


Yves Cusset

Sophie Foch-Rémusat

Pierre Lauret



Copie à :

M. Jean-Cyril Spinetta, Président du Conseil d’Administration d’Air France KLM

M. Gilles Nicoli, Secrétaire général, CFDT Air France

CFTC Air France, section PNC

M. José Rocamora, Secrétaire général, CGT Air France

M. Patrick Hurel, , Secrétaire général, Syndicat général Force Ouvrière d’Air France

Syndicat National du Personnel Navigant Commercial

M. Jocelyn Smykowski, Président du Syndicat National des Pilotes de Ligne 

Union des Navigants de l’Aviation Civile

Mme Marie Ramon, UNSA PNC Air France

Union syndicale Solidaires Sud Aérien

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