mardi 23 décembre 2008

Des enseignants arrêtes pour s'être opposés à une expulsion

Le parisien mardi 23 décembre 2008 par Catherine Balle avec Carole Sterlé

Ce devait être un vol tranquille vers Kinshasa (République démocratique du Congo). Pour trois de ses passagers, il s’est terminé en garde à vue pour « outrage et menace à agent », « opposition à une reconduite à la frontière » ou « entrave à la libre circulation d’un aéronef ». Mardi dernier à Roissy, Pierre Lauret, Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusset trois professeurs de philosophie, empruntent un avion d’Air France pour se rendre à un colloque organisé à Kinshasa. Surprise avant d’embarquer : des policiers distribuent aux voyageurs des papiers spécifiant que ceux qui s’opposent à une reconduite à la frontière encourent jusqu’à huit ans de prisons et 70000 € d’amende.

Lorsqu’ils prennent place dans l’avion, les philosophes repèrent dans le fond de l’appareil un Africain menotté encadré de policiers. « Avec mes collègues, nous sommes allés demander aux forces de l’ordre pourquoi ce passager était menotte », raconte Pierre Laurel, 51 ans.

« Des policiers m’ont plaqué au sol brutalement » 

Les professeurs insistent. Le ton monte entre des agents de police « très tendus », selon Pierre Lauret et des voyageurs qui se mettent à réclamer la libération de celui qui se révèle être un sans-papiers expulsé. L’agitation retombe, mais avant de décoller, le commandant de bord signifie à Lauret qu’il va être débarqué. « Des policiers m’ont arraché de mon siège, menotté et plaqué au sol brutalement », assure le philosophe, qui se décrit pourtant comme un « intello tout frêle ». Il passera la journée en garde à vue, qu’il quittera avec une convocation au tribunal de Bobigny le 4 mars. Nouvel épisode hier à 8 heures : lorsque Sophie Foch-Rémusat, 50 ans, et Yves Cusset 36 ans — qui étaient eux, partis pour Kinshasa — sont rentrés à Roissy, ils sont accueillis par des policiers et placés en garde à vue jusqu’à 18 h 30. « On nous a expliqué qu’on serait convoqués pour une confrontation avec le personnel de bord », raconte Yves Cusset à sa libération.

Si au ministère de l’Immigration on refuse de commenter cette affaire qui « est du ressort de la justice », Brigitte Wieser, de l’association de soutien Réseau éducation sans frontières, estime que les oppositions aux expulsions « augmentent en même temps que le rythme des reconduites à la frontière ».

Entre le 1er juin 2007 et le 31 mai 2008, il y a eu 29 729 expulsions de sans-papiers, soit une augmentation de 31 % par rapport à l’année précédente. Ironie du sort : le colloque auquel se rendaient les philosophes portait sur le rapport à l’étranger et aux frontières.

Sidéré, Pierre Lauret tient à dénoncer le rôle de la compagnie dans cette affaire : « Tout cela signifie que l’équipage a informé la police de leurs noms et de leur date de retour. Air France, en la personne du commandant de bord, les a livrés pieds et mains liés. » Toute proportion gardée, cette délation nous rappelle les périodes les plus sombres de l’histoire de la France.

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