Ce devait être un vol tranquille vers Kinshasa (République démocratique du Congo). Pour trois de ses passagers, il s’est terminé en garde à vue pour « outrage et menace à agent », « opposition à une reconduite à la frontière » ou « entrave à la libre circulation d’un aéronef ». Mardi dernier à Roissy, Pierre Lauret, Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusset trois professeurs de philosophie, empruntent un avion d’Air France pour se rendre à un colloque organisé à Kinshasa. Surprise avant d’embarquer : des policiers distribuent aux voyageurs des papiers spécifiant que ceux qui s’opposent à une reconduite à la frontière encourent jusqu’à huit ans de prisons et 70000 € d’amende.
Lorsqu’ils prennent place dans l’avion, les philosophes repèrent dans le fond de l’appareil un Africain menotté encadré de policiers. « Avec mes collègues, nous sommes allés demander aux forces de l’ordre pourquoi ce passager était menotte », raconte Pierre Laurel, 51 ans.
« Des policiers m’ont plaqué au sol brutalement »
Les professeurs insistent. Le ton monte entre des agents de police « très tendus », selon Pierre Lauret et des voyageurs qui se mettent à réclamer la libération de celui qui se révèle être un sans-papiers expulsé. L’agitation retombe, mais avant de décoller, le commandant de bord signifie à Lauret qu’il va être débarqué. « Des policiers m’ont arraché de mon siège, menotté et plaqué au sol brutalement », assure le philosophe, qui se décrit pourtant comme un « intello tout frêle ». Il passera la journée en garde à vue, qu’il quittera avec une convocation au tribunal de Bobigny le 4 mars. Nouvel épisode hier à 8 heures : lorsque Sophie Foch-Rémusat, 50 ans, et Yves Cusset 36 ans — qui étaient eux, partis pour Kinshasa — sont rentrés à Roissy, ils sont accueillis par des policiers et placés en garde à vue jusqu’à 18 h 30. « On nous a expliqué qu’on serait convoqués pour une confrontation avec le personnel de bord », raconte Yves Cusset à sa libération.
Si au ministère de l’Immigration on refuse de commenter cette affaire qui « est du ressort de la justice », Brigitte Wieser, de l’association de soutien Réseau éducation sans frontières, estime que les oppositions aux expulsions « augmentent en même temps que le rythme des reconduites à la frontière ».
Entre le 1er juin 2007 et le 31 mai 2008, il y a eu 29 729 expulsions de sans-papiers, soit une augmentation de 31 % par rapport à l’année précédente. Ironie du sort : le colloque auquel se rendaient les philosophes portait sur le rapport à l’étranger et aux frontières.
Sidéré, Pierre Lauret tient à dénoncer le rôle de la compagnie dans cette affaire : « Tout cela signifie que l’équipage a informé la police de leurs noms et de leur date de retour. Air France, en la personne du commandant de bord, les a livrés pieds et mains liés. » Toute proportion gardée, cette délation nous rappelle les périodes les plus sombres de l’histoire de la France.
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