mardi 23 décembre 2008

What is France making ?

Le blog d'Yves Cusset le 23 décembre 2008 par Yves Cusset 


Bienvenue. Bienvenue en France. Bienvenue dans ce beau pays dont la plus grande fierté est aujourd’hui d’être le plus visité au monde par les touristes. Bienvenue sur cette terre d’accueil dont le gouvernement déploie une belle énergie à pourchasser et expulser ceux qui ont risqué leur vie pour pouvoir arpenter son sol, et fuir la misère, les persécutions ou la guerre. Bienvenue dans ce pays des droits de l’homme où ceux qui ne peuvent jouir des droits alloués au citoyen ne sont étrangement plus considérés comme des hommes à part entière protégés par les mêmes droits que les autres, mais comme des délinquants sinon des criminels. Bienvenue dans ce pays où l’on vante la démocratie, vous savez, ce pouvoir qu’a le peuple d’approuver toutes les décisions de la majorité, aussi injustes et brutales puissent-elles être, parce qu’elle a reçu, au seul moment des élections, le suffrage de la majorité des citoyens. Bienvenue dans la patrie de la liberté d’expression où le seul fait de manifester verbalement son désaccord face à une mesure d’expulsion et d’interpeller le public pour susciter le débat au sujet de la politique d’immigration devient un délit d’opinion passible de poursuites pénales. Bienvenue dans le pays des lumières où la pensée critique a le droit à l’ombre qu’elle mérite. Cette France là, il faut l’aimer ou la quitter. 
Bienvenue en France et donc bienvenue en Europe, cela va sans dire. Bienvenue dans « une Europe vraiment européenne, qui n’aura pas peur de se poser la question de ses frontières », pour reprendre les mots bien pesés du Président de la France, Nicolas Bruni-Sarkozy. Bienvenue donc dans la forteresse Europe qui n’a peur de rien, et qui, probablement en manque de mur depuis la chute de celui de Berlin, en construit progressivement tout autour d’elle. Bienvenue dans une Europe qui n’accorde la citoyenneté qu’à ceux qui sont déjà citoyens des nations membres de son club fermé, pour mieux la refuser à tous ceux qui viennent y chercher un refuge. 

Bienvenue à vous, compagnons maghrébins, africains, asiatiques, bienvenue, camarades d‘ici et d’ailleurs, avec qui nous partageons le même monde et qui venez vous briser sur nos rivages. Bienvenue en Europe. Bienvenue en France.

Voilà les mots de bienvenue qui m’ont traversé l’esprit, dans la geôle que je partageais avec trois compagnons de cellule sans papiers d’origine africaine et asiatique, lors de ma récente garde à vue dans les locaux de la police aux frontières de Roissy, où j’avais été conduit pour « outrage, menace à agents de la force publique et opposition à mesure de reconduite frontières ». Je revenais de Kinshasa, et les policiers qui avaient déjà débarqué brutalement Pierre Lauret avant le départ de l’avion, étaient venus m’interpeller avec ma collègue Sophie Foch-Rémusat. A Kinshasa, où nous étions les bienvenus, nous avions pu intervenir dans un beau colloque de philosophie, intitulé « Culture du dialogue et passage des frontières », et avoir des échanges avec des collègues congolais et camerounais, de plus en plus étonnés des choix politiques de la France. L’un de mes camarades de geôle, un jeune africain non francophone qui n’ira malheureusement pas jusqu’à Londres, qui n’aura pas non plus la chance d’être comme moi vite libéré pour pouvoir reprendre sa vie de petit bourgeois disposant du loisir de penser, d’écrire et de s’indigner, me demanda ce que je faisais entre ces murs. Entendant mon histoire, et beaucoup plus étonné de la présence d’un jeune français blanc dans une cellule de la police aux frontières que de la sienne propre, il dit dans sa barbe, un peu triste, un peu renfrogné, et comme indifférent à sa propre situation : « What is making France ? There is a problem with Europe ». Cet homme dont j’ai pu entendre ici la voix, sera expulsé de France et d’Europe. Je vais bien et je n’ai jamais eu son courage, je n’en ai heureusement pas besoin. Je ne dispose pas du pouvoir d’accueillir cet homme dans ce pays pour lequel j’ai le droit d’employer un pronom possessif, mon pays, je dois me contenter d’accueillir en moi cette voix pour la laisser me traverser. Ce pouvoir, nous l’avons tous.

Alors bienvenue à tous les sans-voix.

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