L'humanité du 11 mars 2009
Immigration . Avocats, philosophes, militants… En pleine polémique sur le film Welcome, l’Humanité donne la parole à ces citoyens coupables d’être venus en aide aux migrants.
Avec son film Welcome, dans lequel Vincent Lindon prend le risque d’aider un jeune réfugié kurde, le réalisateur Philippe Lioret remet sur le devant de la scène le « délit de solidarité » (lire aussi en page 22 la critique de Jean Roy). Cet article L 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) rend passible de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende toute personne aidant à « l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers ». Éric Besson, ministre de l’Immigration, n’hésite pas à affirmer sur les plateaux de télévision (1) : « La loi existe pour traquer les passeurs et les filières clandestines et c’est à ça qu’elle sert. La preuve, c’est que des particuliers n’ont pas été mis en cause. » Ceux à qui nous donnons la parole ne sont ni des « passeurs » ni des « filières clandestines ». Avocats, philosophes, professeurs, retraités, simples citoyens ou militants engagés… ces particuliers sont poursuivis pour avoir donné un peu de chaleur humaine aux migrants de Calais, s’être indignés d’une expulsion brutale dans un avion, ou simplement pour avoir exercé leur métier.
« Nous avons juste posé des questions »
Yves Cusset, trente-sept ans, professeur de philosophie, auteur et comédien.
Sous le coup d’une enquête préliminaire pour outrage, menace à agent de la force publique et opposition à une mesure de reconduite à la frontière. Risque cinq ans d’emprisonnement et 18 000 euros d’amende.
« Le 16 décembre, avec Sophie Foch-Rémusat et Pierre Lauret, nous nous rendions à Kinshasa pour un colloque universitaire sur "la culture du dialogue et le passage des frontières". Nous avons protesté contre l’expulsion de deux hommes et une femme à l’arrière de l’avion. Pierre Lauret a été débarqué. Une semaine plus tard, de retour de RDC, nous avons été cueillis à la sortie de l’avion et placés en garde à vue pendant onze heures. Pour le moment, nous ne savons pas s’il y aura un procès, cela permettrait d’ouvrir un espace de discussion publique sur les expulsions des sans-papiers. Ces poursuites sont totalement ubuesques, nous n’avons jamais outragé ou menacé personne. Nous avons simplement posé des questions… »
« Violenté et traîné sur le sol par les CRS »
Jean-Claude Lenoir, cinquante-sept ans, professeur de technologie au collège et vice-président de l’association Salam à Calais.
Jugé en 2004 pour « aide à personne en situation irrégulière », dispensé de peine. Accusé d’outrage à CRS pour la deuxième fois, il comparait le 18 mars devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer.
« Nous sommes harcelés parce que nous dénonçons ostensiblement ce qui se passe sur Calais. Tous les jours, les migrants, y compris les femmes enceintes et les enfants, subissent des gazages systématiques de bombes lacrymogènes. Il y a même des arrestations pendant les distributions de repas, c’est inimaginable. En 2004, contrairement à ce que dit le ministre, j’ai été condamné, mais dispensé de peine. J’ai quand même été mis en examen pendant un an et demi, on m’a retiré ma carte d’identité et j’ai dû payer les frais d’avocat. Je repasse devant la justice dans quelques jours pour outrage à CRS alors que j’ai toutes les preuves en images que les CRS m’ont violenté, traîné sur le sol et déshabillé. Ils ne peuvent rien nous reprocher, donc ils inventent… »
« Débarqué pour avoir protesté dans un avion »
André Barthélemy, soixante-douze ans, président d’Agir ensemble pour les droits de l’homme.
Risque quatre mois de prison et 7 500 euros d’amende pour « provocation directe à la rébellion » ainsi que cinq ans de prison et 18 000 euros d’amende pour « entrave à la circulation d’un aéronef ».
« Le 16 avril, dans un avion pour Brazzaville, je me suis retrouvé avec deux Africains menottés et entourés de six policiers, qui criaient pour qu’on arrête de leur faire mal. J’ai interpellé les autres passagers, qui ont protesté. Le commandant de bord a annoncé qu’il ne décollerait pas et l’escorte et les expulsés sont descendus. De mon côté, j’ai été débarqué et mis en garde à vue pendant dix heures. Cité à comparaître le 19 février devant le tribunal de Bobigny, mon avocat a demandé la dispense de peine, le procureur a requis trois mois de prison avec sursis. Les pouvoirs publics poussent à l’indifférence, voire à la délation. C’est profondément antidémocratique. Sans hurler à la dictature, je dirais simplement qu’un vent mauvais souffle sur les libertés. »
« Poursuivie pour une simple plaidoirie »
Cynthia Galli, cinquante et un ans, avocate
au barreau de Nîmes.
Est l’objet d’une plainte disciplinaire et d’une enquête pénale à la requête du préfet de Lyon.
« Je ne suis pas militante, mais simplement une avocate qui défend un client. Je suis de permanence (l’équivalent du commis d’office - NDLR) pour défendre les étrangers retenus au Centre de rétention de Nîmes. Le préfet me reproche d’avoir fait un rappel historique lors d’une audience. Il s’agissait d’une personne dénoncée par appel anonyme. Ce procédé m’avait extrêmement choquée, j’avais donc parlé de la Seconde Guerre mondiale. Cette plainte contre moi est choquante. L’exercice de la profession est atteint dans ce qu’il a de plus noble. On s’attaque aux garanties de la représentation de la défense. Les propos de l’avocat sont garantis par la liberté d’expression. Le Syndicat des avocats de France et l’Union des jeunes avocats exigent l’arrêt immédiat des poursuites. »
« J’ai rechargé des téléphones portables »
Monique Pouille, cinquante-neuf ans, militante de l’association Terre d’errance à Norrent-Fontes (Nord-Pas-de-Calais).
A subi dix heures de garde à vue pour aide à personne en situation irrégulière.
« Ils sont venus m’arrêter chez moi le 25 février au matin sur commission rogatoire du procureur de la République de Béthune. J’ai passé dix heures en garde à vue pour avoir rechargé les téléphones portables des migrants. Je ne sais pas s’il y aura des suites judiciaires. Ça fait deux ans que je viens en aide aux migrants, j’ai des enfants de cet âge-là. Quand je les vois passer sur le trottoir devant chez moi, trempés, je ne peux pas faire autrement que de les aider. J’ai été traitée comme une criminelle, je l’ai très mal vécu. Mon téléphone était sur écoute depuis des mois. Ce matin, j’ai reçu une lettre de soutien d’Angleterre de 140 migrants. Ils me disent qu’ils sont sauvés et qu’ils espèrent que je vais pouvoir continuer à aider leurs frères. »
(1) Ce soir ou jamais, sur France 3 le 2 mars 2009.
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