Plus d’un tiers des expulsions du territoire se font par avion. Voyager avec une personne expulsée peut donc arriver à n’importe qui. Que risque-t-on à ne pas rester indifférent? Comment refuser d’être forcé de se taire sans tomber sous le coup
de la loi? Convoquées au tribunal de Bobigny, deux personnes témoignent.
« C’est inadmissible,c’est une honte! Vous ne respectez pas les droits de l’homme!” André Barthélémy ne nie pas l’avoir dit. Président de l’ONG Agir ensemble pour les droits de l’homme et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, il le revendique
même. Devant la 14e chambre du TGI de Bobigny où il est cité à comparaitre pour incitation à la rébellion” et “entrave à la circulation d’un aéronef”, presqu’un an après les faits. C’était en avril 2008 à bord d’un vol Air France Paris-Brazzaville. Deux hommes escortés par huit policiers se plaignent au fond de l’appareil. Ils ont des “liens espagnols”: des scratchs aux mains et aux chevilles, reliés entre eux. La déposition d’un policier précise: “J’ai indiqué au “reconduit” qu’il ne devait pas bouger, sinon, il aurait encore plus mal…” André Barthélémy cite le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe*:“Lorsque des passagers s’insurgent contre une expulsion, il arrive que la police interpelle, en représailles, un petit nombre de passagers. (…) Le Commissaire invite les autorités françaises à y mettre un terme sans délai.” Sursis. “Ces méthodes ont pour but d’inciter à l’indifférence: il ne faudrait jamais protester, dit André Barthélémy à la Cour, alors qu’il faut s’intéresser à cette politique migratoire qui consiste à désigner d’avance le nombre de personnes à reconduire aux frontières. Il faut s’intéresser aux conditions des expulsions et aux méthodes employées.” Le procureur avait réclamé trois mois de prison avec sursis. Le 19 mars, la cour a rendu son jugement: pas de peine de prison, mais une amende de 1500 €. André Barthélémy a
fait appel. “Il s’est passé exactement ce que je voulais: des gens se sont levés, ont exprimé leur indignation. Je ne me fais pas d’illusions, s’ils ne sont pas embarqués ce jour-là, ils le seront un autre jour, mais dans la mesure où on n’est pas d’accord avec ces méthodes, quand l’occasion se présente, il faut le manifester. Et si je suis de nouveau confronté à cette situation, je referai exactement la même chose.”
“Moralement impliqué”.
Pierre Lauret, directeur de programme au collège international de philosophie, ne dit
pas autre chose: “C’est une goutte d’eau mais franchement j’allais à un congrès sur la culture du dialogue, les frontières et l’accueil de l’étranger: il m’était moralement impossible de ne pas réagir.” C’est fait. Un sujet dont ne voulaient apparemment pas débattre les policiers d’escorte de deux personnes menottées sur un vol Paris-Kinshasa. Il est débarqué manu
militari. “L’ambiance dans l’avion était ambivalente: d’un côté il y avait de l’indignation, de la solidarité et en même temps, on avait déjà deux heures et demie de retard, la plupart des gens rentraient chez eux pour Noël. La veille, un vol avait été annulé. J’en étais à me dire que j’allais descendre de cet avion quand le commandant de bord m’a informé que j’allais être débarqué.” Ses deux collègues Sophie Foch-Rémusat et Yves Cusset seront appréhendés à leur retour à Paris. Convoqué pour une procédure de “plaider- coupable”, Pierre Lauret refuse de reconnaître autre chose que ce qu’il a fait et qu’il assume, mais ne correspond pas au procès-verbal de la police.
Son dossier va être repris par le Parquet. Ce qui peut déboucher
sur un classement sans suite ou un renvoi en correctionnelle.
“Ce qui est important, c’est d’avoir rendu visible l’expulsion. Je ne vais pas changer. Si je l’ai fait une fois, je n’aipas de raison de ne pas le refaire, même si je ne veux pas
non plus devenir abonné à la garde à vue de Roissy! Mais quand on est dans l’avion, si on ne dit rien, on est complice.”Cet été, Pierre Lauret doit aller voir
de la famille au Canada. S’il prend Air Canada, le voyage sera plus serein, la compagnie a cessé toute reconduite à la frontière.
*Mémorandum (p. 21) de Thomas
Hammarberg, commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire